« Partir, ce n’est pas chercher, c’est tout quitter, proches, voisins, habitudes, désirs, opinions, soi-même. Partir n’a d’autre but que de se livrer à l’inconnu, à l’imprévu, à l’infinité des possibles, voire même à l’impossible. Partir consiste à perdre ses repères, la maîtrise, l’illusion de savoir et à creuser en soi une disposition hospitalière qui permet à l’exceptionnel de surgir. »
(La Nuit de Feu de Eric-Emmanuel Schmitt)
Réaliser son rêve, choisir sa vie, c’est une magnifique aventure et comme toutes les aventures, elle contient également des moments plus délicats. Comme je traverse actuellement une période de turbulence assez inconfortable et quelque peu déconcertante, j’ai l’envie d’y mettre des mots pour l’expliquer à celles et ceux qui envisagent de changer de vie. Juste une expérience parmi d’autres.
Cela fait maintenant un an et demi que nous avons quitté la Belgique, mon compagnon et moi pour nous installer dans le sud de la France. Ce projet a été élaboré et préparé ensemble pendant plusieurs années. Nous avons pris le temps de tout imaginer, prévoir, organiser, planifier et nous sommes très heureux aujourd’hui d’avoir réalisé un de nos rêves.
Je n’ai vraiment aucun regret et je me sens vraiment ma place ici. En même temps, je ressens une grande difficulté pour l’instant à laisser s’éloigner ce qu’était ma vie d’avant pour mieux m’ouvrir à ma vie d’aujourd’hui. Il m’a donc fallu plus d’un an pour ressentir cet écartèlement entre mes deux vies et pour percevoir aujourd’hui cette certitude qu’il est nécessaire de vraiment fermer, pour un temps, la porte du passé. C’est ce qui permet d’avoir tout l’espace pour développer les nouveaux projets et regarder aujourd’hui et aussi demain avec sérénité et enthousiasme. Se raccrocher à ce qui a été est un frein trop important pour avancer, je m’en rends tellement compte aujourd’hui.
Pas facile pourtant de laisser tout ce tissus social construit au fil des années, toutes ces expériences que j’ai développées ces dernières années et laissées là-bas, derrière moi.
Je sais, au plus profond de moi que si nous avons aujourd’hui à vivre nos vies, éloignés les uns des autres, mes amis et moi et tous ceux que j’ai laissé, nous restons en contact de loin en loin, grâce à Internet. Mais la toile est insidieuse et je me rends compte de plus en plus que je m’y accroche, parfois trop en regardant tout ce qui se passe là où je ne suis plus, tellement heureuse de voir les uns et les autres se développer et avancer et en même temps tellement triste de ne plus pouvoir en faire partie.
Cela me confronte aussi avec les réalités différentes entre les deux pays et me met devant les yeux parfois un peu trop ce que j’ai perdu, ce que j’aurais pu, moi aussi développer là-bas et que je vais mettre du temps à trouver ou à mettre en place et à reconstruire d’une autre manière ici.
Cette situation est d’autant moins facile, quand la difficulté ne se retrouve pas aussi présente chez Xavier, mon compagnon, qui est ici comme un poisson dans l’eau et savoure chaque journée en pleine conscience sans faire de projet et en totale harmonie avec ce qui est là autour de lui.
Bien sûr nous en parlons, il est attentif et essaie de me rassurer, de trouver avec moi, la bonne voie pour avancer ensemble, main dans la main, chacun à son rythme.
J’essaie comme lui de savourer l’instant, de ne pas me mettre la pression, d’avancer pas à pas et d’accueillir mes émotions qui viennent. Notre lieu de vie est juste incroyable et magique pour cela et heureusement, le calme qui y règne m’aide à trouver la paix nécessaire à mon équilibre.
Pourtant mes besoins d’échanges et de partages sont plus présents et différents des siens. J’ai envie de rencontrer, de recréer un réseau ici et de développer nos activités autour de notre maison d’hôtes et de nos accompagnements qui font partie de notre nouvelle vie. Cela prend du temps et beaucoup d’énergie. Mon impatience est parfois épuisante et je n’arrive pas toujours à lâcher cette pression, cette volonté de « réussir » à tout prix.
Je sais plus que jamais que je suis venue ici pour accueillir et prendre soin de celles et ceux qui désirent s’arrêter un moment pour se reposer et faire le point dans leur propre vie. Cette maison s’y prête à merveille et lors de cette première saison, nous avons été rassurés. Nous sommes les bonnes personnes au bon endroit, que nous apportons vraiment quelque chose et que ce que nous proposons à tout son sens.
Pour pouvoir réaliser cette mission dans les meilleures conditions, il est fondamental que je m’accorde, à moi aussi ce temps et cet espace. Prendre du temps pour m’arrêter et faire le point, pour prendre juste soin de moi, voir ce qu’il est nécessaire de mettre en place dans ma vie pour me sentir mieux, en équilibre et en harmonie avec cette nouvelle vie. Si je ne fais pas cela, je passe à côté de l’essentiel et je ne me sens pas congruente avec celles et ceux qui viennent ici.
Même si cette nouvelle vie est un choix mûrement réfléchi, il n’en reste pas moins qu’il est essentiel de prendre un temps d’adaptation plus ou moins long pour s’ajuster, prendre ses marques, retrouver une nouvelle zone de confort pour vivre au plus près de son élan vital.
Aujourd’hui je peux dire que je suis au bon endroit et qu’il est juste nécessaire que j’apprivoise ma nouvelle vie en prenant le temps d’accueillir avec bienveillance et patience, toutes ces émotions qui se bousculent en moi. Ce n’est pas rien ce qui se passe et c’est juste indispensable d’en tenir compte pour continuer.
En écrivant ces quelques lignes, je me rends compte à quel point je ne me suis pas accordé assez de temps ces derniers mois pour prendre soin de moi. Dès aujourd’hui, je lève le pied et pars quelques jours, à ma rencontre dans un lieu retiré, en solitaire.
Je suis certaine que chaque chose viendra quand ce sera le moment. Je laisse faire la vie qui jusqu’à présent m’a fait de magnifiques cadeaux. J’ai confiance en moi, en nous, en elle.
Lorsque nous nous lançons dans une nouvelle aventure, ne sous-estimons pas cette étape, ce moment où, alors que tout va bien, il y a un grain de sable qui vient insidieusement et peut tout abimer si nous n’y faisons pas attention. Prenons le temps de nous arrêter, de nous écouter avec bienveillance et de prendre soin de ce qui se passe en nous.
Bonne route.